Le ton est donné : pendant plus de 2 heures, sans que les élèves voient le temps passer, Ginette va retracer avec émotion mais sans tristesse ses épreuves, l’incrédulité, la peur, la perte de ses proches gazés, les humiliations, les coups, les privations. A la voir, les yeux fermés, on devine qu’elle est là-bas…
«Comme le reste de ma famille, je suis juive. Si je suis allée au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, c’est parce que j’ai été dénoncée. Je n’ai jamais su par qui.»
La famille Cherkasky se croyait à l’abri en Avignon et pourtant, le 13 Mars 1944, en rentrant déjeuner, Ginette se retrouve nez à nez avec des agents de la Gestapo.
Elle, son père, son petit frère de 12 ans Gilbert, son neveu Georges, 14 ans sont transférés au camp de Drancy avant le voyage pour « Pitchipoï ». (Nulle part en hébreu !)
«Je n’ai jamais eu peur durant le trajet, j’étais persuadée que les nazis nous amenaient dans un camp de travail». Même en voyant les cheminées, elle pense encore que ce sont celles des usines où elle va devoir travailler. Ginette dit aussi à son père et son frère épuisés par le voyage de monter dans les camions.
Elle, rejoint un petit groupe de femmes entre 15 et 45 ans. Et les humiliations commencent !
Forcées de se mettre complètement nues, les femmes sont rasées et tatouées : Ginette sera le matricule 78599.
Aux détenues qui les tondent, elles demandent : « Quand est-ce qu’on verra ceux qui sont montés dans les camions ? » «Jamais, ils sont tous partis pour la chambre à gaz !».
A ce moment, aucune du convoi ne veut y croire. Mais très vite, l’odeur qui sort des cheminées leur enlèvera tout espoir. Pour Ginette, c’est terrible. Elle se dit qu’elle a envoyé ses proches à la mort et ce sera l’un des tourments de sa vie.
Comment a-t-elle survécu au travail harassant, aux coups, aux brimades, aux privations ? «Peut-être est-ce une question de chance ? Oui, j’ai eu de la chance, celle de ne pas être sélectionnée pour la mort, celle d’être partie de ce camp 7 mois plus tard».
Ce sera alors Bergen-Belsen puis en février 1945, une usine d’aviation près de Leipzig. A l’approche des Alliés, en avril 1945, les nazis enferment les ouvriers de l’usine dans un train de la mort à destination de Theresienstadt. Le trajet est horrible, les morts s’accumulent. Tenaillée par la faim et la soif, Ginette n’hésite pas, lors d’un arrêt, à manger de l’herbe et à boire l’eau d’une locomotive qui vidangeait !! Et comme beaucoup, elle a le typhus !
Le camp libéré par l’Armée rouge, elle est rapatriée en France, Lyon puis Paris en mai 45.
Mais devant l’espoir de sa mère de retrouver son mari et son fils, Ginette est brutale : «Ils ont été gazés et brûlés !!» Le camp lui a enlevé tout sentiment de compassion et elle ne sait plus pleurer !
Dans les années qui suivent, elle essaie de se reconstruire mais elle ne parle jamais de déportation et surtout pas avec ses proches. Il a fallu attendre que l’équipe de Steven Spielberg la contacte pour qu’elle se décide à parler. Et depuis infatigablement, Ginette raconte, témoigne, mélangeant le rire et l’émotion, pas de tristesse chez elle, juste cette pugnacité pour dire aux jeunes : «Ne vous laissez pas embrigader, pas de haine, pas de différences, Noir, Blanc, Juif, Arabe… nous avons le même sang !».
Elle avoue cependant qu’elle ne peut pardonner aux nazis et les événements d’aujourd’hui lui font peur : «Ce qui s’est passé est à notre porte !».
Ginette Kolinka va continuer tant qu’elle peut à témoigner : «Bientôt, il n’y aura plus personne pour raconter ce que nous avons vécu. Vous les jeunes, vous devez être capables de dire que vous avez rencontré quelqu’un qui a vécu les camps d’extermination, que cela a bien existé.»